Argumentaire

Les systèmes éducatifs de Belgique figurent parmi les plus socialement ségrégués et les plus inégalitaires des pays membres de l’OCDE. Plus qu’ailleurs, ils séparent les enfants des classes aisées de ceux des classes populaires, dans des “écoles-ghettos”. Et les écarts de performances scolaires entre ces enfants figurent, chez nous, parmi les plus élevés d’Europe.

La ségrégation sociale scolaire est tout d'abord contraire aux principes d’une éducation démocratique, parce qu'elle empêche les futurs citoyens de découvrir et de vivre la diversité sociale, ethnique, culturelle de notre société. La recherche a montré que la ségrégation contribue également de façon importante à accroître les inégalités sociales entre écoles et entre élèves, sans pour autant engendrer une élévation des performances scolaires moyennes.

L'inégalité et la ségrégation sociale, si caractéristiques de nos systèmes d’enseignement, sont elles-mêmes liées au mode d’organisation du marché scolaire en Belgique. Outre l’existence d’une forte concurrence entre réseaux et même entre établissements scolaires d’un même réseau, notre pays se caractérise par le fait qu’à la liberté de choix des parents, on a, dans les faits, substitué une obligation de choix. Ces deux éléments renforcent considérablement les mécanismes qui, via la recherche de l’entre-soi dans le chef des parents et via les procédures informelles de sélection mises en œuvre par les établissements, engendrent ségrégation et inégalités. 

Ce mode d’organisation du marché scolaire est anxiogène pour les parents et les jeunes. Alors que l’entrée à l’école maternelle, primaire ou secondaire, devrait être un moment de joie et de fierté, nous le transformons en une compétition stressante, de peur de ne pas trouver une place dans une « bonne école ».

Les mécanismes de marché actuels  et la ségrégation nuisent également à une organisation rationnelle et planifiée de l’enseignement, par exemple pour gérer les déficits d’enseignants et de capacités d’accueil.

À défaut d’avoir attaqué le problème au cœur, les diverses tentatives pour introduire un peu de régulation dans les marchés scolaires de Belgique n’ont souvent conduit qu’à encore plus de compétition, encore plus de stress, encore plus d’angoisses.

Limiter formellement la liberté de choix n’est cependant pas une solution envisageable : l’attachement historique et culturel à cette liberté est bien trop grand dans notre pays. Sans compter que cela nécessiterait une improbable révision de la Constitution et des engagements internationaux de la Belgique.

Il faut dès lors concilier deux principes généraux : d’une part, les pouvoirs publics ont le devoir d’assurer à chaque enfant une place dans une implantation scolaire de proximité, avec une garantie de qualité et d’éducation démocratique, donc en veillant, entre autres, à une réelle mixité sociale ; d’autre part, les parents doivent conserver la liberté d’accepter l’école qui leur sera proposée ou d’en choisir une autre. 


Principe général de notre projet

L'essence du projet que nous défendons consiste dès lors à envoyer aux parents, avant même l’ouverture des inscriptions dans les écoles, une proposition d’affectation. Celle-ci tiendrait compte de la proximité du domicile, tout en poursuivant des objectifs de mixité sociale. Les parents resteraient parfaitement libres d’accepter ou de refuser cette proposition et pourraient formuler des demandes alternatives.

Ce mode d'inscription s’appliquerait à toutes les années du tronc commun : de l’école maternelle jusque et y compris les premières années de l’enseignement secondaire.  Une fois que l’enseignement se divise en filières et en options, il n’est plus possible de mettre en œuvre un tel système de propositions d’affectations, car toutes les options et filières ne sont pas organisées dans toutes les écoles, loin de là. 

Une étude a d’ores et déjà pu démontrer, dans le cas de l’enseignement fondamental en région Bruxelloise, la faisabilité technique d’un algorithme permettant de réduire considérablement les écarts sociaux entre écoles, tout en diminuant la distance moyenne domicile-école pour les élèves.

Une école confessionnelle ne sera proposée qu’aux parents qui en auront préalablement accepté l’éventualité. En revanche une école neutre pourra être proposée à tous.

Pareillement, il faudra demander, en particulier à Bruxelles, demander aux parents dans quelle langue (et éventuellement dans quel système d’immersion linguistique) ils souhaitent scolariser leur enfant. 

L’existence de filières et options particulières dans le secondaire supérieur marque déjà de son empreinte l’enseignement organisé dans les premières années ainsi que l’image d’une école. C’est pourquoi, afin de permettre aux parents d’accepter plus facilement l’école secondaire qui leur sera proposée, il est souhaitable de dissocier administrativement et, si possible, géographiquement les établissements (ou implantations) organisant du secondaire inférieur et du secondaire supérieur.


Exemple de concrétisation possible

Préalables

Création d’un « Organisme central pour l’affectation des élèves » et de « Conseils de zone » inter-réseaux qui seront chargés, conjointement, de la mise en oeuvre de ce décret. Un Conseil scientifique sera également désigné, afin d’en accompagner le développement. Les responsables et personnels de tous ces organismes sont tenus à une obligation totale de discrétion quant aux informations qu’ils enregistrent ou manipulent.

Constitution d’un indice socio-économique individuel pour chaque enfant en âge de scolarité (en utilisant par exemple les informations disponibles via la banque-carrefour de la Sécurité sociale : revenus, patrimoine, diplômes des parents,…). 

Constitution d’un cadastre du nombre de places disponibles dans chaque établissement scolaire, par année d’étude. Ce cadastre est mis à jour annuellement, sur base des déclarations des établissements scolaires, dans le respect de normes à fixer par le gouvernement en termes de locaux, d’espace et d’équipement. 

En cas de manque de places dans une zone géographique donnée, l’Organisme central d’affectation peut demander aux établissements d’augmenter temporairement les quotas repris au cadastre. Il en informe les pouvoirs publics et les P.O. et recommande des mesures coordonnées en vue d’accroître (ou de diminuer si nécessaire) les quotas pour les années futures. Toute augmentation ou diminution des quotas doit faire l’objet d’un accord entre le Conseil de Zone et l’Organisme central d’affectation.

Développement d’un algorithme informatique permettant d’affecter un établissement (ou une de ses implantations) à chaque enfant entrant à l’école maternelle, primaire ou secondaire (ou à chaque enfant dont la situation a changé). L’algorithme cherchera à minimiser 

– les distances domicile-école

– les écarts socio-économiques entre écoles

La loi fixera les paramètres de l’algorithme (par exemple les maxima de distances domicile-école acceptables, les valeurs-cibles moyennes pour ces distances en fonction du contexte géographique, la valeur-cible pour l’indice socio-économique des écoles en fonction de sa valeur moyenne locale, etc.).


Calendrier et procédure

Date 1 (par exemple 1er décembre)

Envoi, à tous les parents dont un enfant est en âge d’entrer à l’école ou de changer de niveau d’enseignement, d'une lettre expliquant la procédure et d’un formulaire (papier et électronique) leur permettant d’indiquer leurs préférences pour l’école qui  sera proposée : choix confessionnel, choix linguistique, fratries, et choix du domicile de référence. 

Remarque : la loi prévoira une procédure permettant aux parents d’enfants déjà scolarisés de compléter à nouveau ce formulaire en cas de changement de domicile, de situation familiale ou de choix philosophique.

Date 2 (par exemple 1er janvier).

Date limite de rentrée des formulaires (sinon application de valeurs par défaut)

Centralisation des réponses dans une base de données informatique disposant également des ISE individuels, des cadastres de places et des localisations des écoles.

Exécution de l'algorithme d'affectation optimisant distance et mixité sociale.

Date 3 (par exemple 15 février)

Communication aux parents de la proposition d’école retenue par l’algorithme. 

S’ils acceptent cette proposition, la place est garantie. L’affectation est alors automatique et définitive : l'enfant ne pourra plus être inscrit ailleurs dans l'enseignement subventionné. S’ils refusent, ils doivent le signaler et peuvent formuler une ou plusieurs demandes d'affectation alternatives (en ordre de préférence). Il leur est toutefois rappelé qu’il n’y a, dans ce cas, aucune garantie que des places seront libres.

Les parents disposent d’un délai de 45 jours pour répondre par formulaire électronique ou papier. L’absence de réponse tient lieu d’acceptation.

Cette période de 45 jours pourrait être utilisée par les écoles pour organiser des séances d'information à l'adresse des parents.

Date 4 (par exemple 1er avril)

Après réception de l’ensemble des réponses, on affecte d’abord à leur école ceux dont les parents ont accepté la proposition initiale (ou n’ont pas répondu). 

Ensuite, on considère les demandes alternatives des autres parents. 

Le premier choix est automatiquement accordé s’il reste suffisamment de places dans l’école demandée. S’il y a davantage de demandes que de places disponibles pour un établissement, alors l’algorithme privilégiera de nouveau les élèves dont l’apport tend à optimiser les indicateurs de mixité sociale ou ceux qui risqueraient de ne plus trouver de places disponibles dans une école de proximité. Le même procédé est répété (pour ceux qui n'ont pas encore d'école) avec les 2ème choix, 3ème choix, etc., jusqu’à épuisement.

Si, au terme de cette procédure, des enfants sont encore sans école, l'algorithme proposera (toujours avec les mêmes critères : proximité et mixité) un autre établissement où il reste de la place.

Date 5 (par exemple 1er mai)

Les parents qui avaient refusé la proposition initiale sont informés si leur enfant se voit proposer une place dans une des écoles alternatives demandées (ou ailleurs). Ils disposent de 15 jours pour confirmer ou non cette inscription. S'ils confirment (ou ne répondent pas) l'inscription est automatique et définitive (ils ne pourront plus inscrire l'enfant ailleurs).

Au terme de cette phase, le nombre de places encore disponibles par année d’études et par établissement est repris dans une base de données publique, accessible sur internet.

Une autre base de données, non publique celle-là, permet aux établissements de vérifier si un élève est déjà inscrit dans un autre établissement.

Date 6 (par exemple 15 mai)

À partir de cette date, les établissements peuvent recevoir des inscriptions complémentaires, dans la stricte limite des places déclarées au cadastre et dans l’ordre chronologique d’arrivée de ces inscriptions.

Afin d'éviter les doubles inscriptions, les établissements ont l’obligation de vérifier si l'élève n’est pas déjà inscrit ailleurs.

Les établissements sont tenus de communiquer ces inscriptions en temps réel, afin d’assurer une mise à jour immédiate des bases de données et d’éviter ainsi les files inutiles.


Dispositions complémentaires

Cette procédure d’inscription sera mise en oeuvre progressivement, en commençant par les maternelles, et la 1ère primaire, en l’étendant ensuite aux années supérieures.

Lorsqu’on arrivera aux écoles secondaires, au bout de six ans, celles-ci devront avoir scindé administrativement (et autant que possible géographiquement) leur cycle inférieur (tronc commun) du cycle supérieur. Il s’agira donc à ce moment-là de deux établissements distincts, même s’ils peuvent éventuellement dépendre du même P.O. et partager encore leurs locaux.

Les écoles qui organisent l’enseignement en immersion devront laisser le choix aux parents de faire suivre les cours de leur enfant dans la langue d’immersion ou non.

Une disposition particulière sera prévue pour les enfants de parents sans papiers et ceux de familles nomades, afin, notamment, de leur accorder la priorité dans l’accès aux établissements offrant un internat.

L'indice socio-économique sera mis à jour en temps réel. Le fichier contenant cet indice et l’adresse de chaque élève sera anonymisé : les idéntités de l’élève et de ses parents seront conservées dans un fichier distinct, crypté, qui ne pourra être activé que par les logiciels traitant les communications avec les parents (envoi de documents, réception de leurs choix,etc…).